Enfin trois .. (PV. Emma)

Ces dernières semaines passées ensemble semblaient appartenir à un autre monde. D’abord le couple avait du trouver ses marques avec l’arrivée de leur petit bout. Même si ils avaient disposé d’un grand laps de temps pour s’y préparer, la naissance de Noah venait changer pas mal d’habitudes. Heureusement pour Dorian et Emma, il n’était pas assez capricieux pour les réveiller en pleine nuit, bien que cela arrivait occasionnellement, mais en général, il faisait ses nuits. Ensuite, cette naissance marquait le début de leur nouvelle vie de famille. Désormais, ils étaient trois et ce n’était pas forcément simple à gérer. Que ce soit Dorian ou Emma, chacun s’investissait énormément dans son travail, ce qui expliquait leurs journées de travail parfois surchargées, puis ils consacraient le reste de leur temps à Noah.
D’une certaine manière, leur couple en pâtissait puisque les habitudes qu’ils avaient prises jusqu’alors devaient changer. D’ailleurs, malgré leur dernière réconciliation après quelques mois chaotiques vécus pendant la grossesse d’Emma, le couple gardait en mémoire tous ces événements. Qu’ils aient décidé de tirer un trait dessus était un fait et l’oublier complètement en était un autre. Le faux pas de Dorian avec Kate en était un exemple. Bien qu’aucun d’eux n’en parle, ils ne pouvaient nier que cela restait très présent dans leur esprit.

Tandis que Noah était tranquillement installé dans son petit transat non loin de son père, ce dernier tentait tant bien que mal de faire le tri parmi les centaines de photos qui inondaient son disque dur. Après un bon moment à choisir les plus belles d’entre elles, il en imprima quelques tirages qui commencèrent à s’amonceler sur le comptoir de la cuisine.
Venant de l’entrée, il perçu un bruit presque imperceptible. Ce devait être Emma qui rentrait sur la pointe des pieds. Il consulta sa montre et un petit sourire apparut au coin de ses lèvres. Ils auraient tout loisir de se retrouver tous les trois pour le reste de la journée. Dorian se leva ensuite et contourna ledit comptoir pour préparer un peu de café. Après une longue garde, Emma en aurait probablement besoin. Il fut distrait, le temps de quelques secondes, par la pluie qui commençait à frapper fort contre les fenêtres de la pièce. Un frisson le parcouru tant il était frileux. Laissant le café couler, Dorian rejoignit ses fameuses photos et commença à en faire des petits tas pour les ranger plus facilement.
Emma arriva à ce moment-là. Son sourire se fit alors plus explicite. Il passa un bras autour d’elle lorsqu’elle vint prendre place sur ses genoux, de toute évidence en pleine forme.

« Ca va, il a été sage comme une image. Et toi, comment s’est passé ta garde ? »

Apparemment, Noah n’était pas d’accord pour rester dans sa chambre. Maintenant qu’il avait vu sa maman, il voulait probablement se faire chouchouter par elle. Le sourire au coin des lèvres, Dorian desserra son étreinte pour que sa chérie puisse se lever. Puis, il se leva à son tour pour amener ses photos dans un coin. Leur temps libre leur permettrait peut-être de se mettre à la recherche d’une nounou, tâche qui se trouvait dans le haut de leurs priorités.

Alors qu’Emma venait tout juste de partir en direction du petit Noah qui se faisait entendre par ses pleurs, Dorian s’éloigna de la cuisine pour ranger lesdites photos. Son esprit était rempli de tous les derniers événements qu’ils avaient vécu. En si peu de temps, ils étaient si nombreux que ça en était presque déstabilisant. Après neuf mois vécu difficilement par le couple, leur petit bout vu enfin le jour. Ce n’est qu’à ce moment-là que Dorian et Emma firent la connaissance de la famille de l’autre. Chose qui était plutôt tardive tout de même mais qui avait eu le mérite de très bien se dérouler. D’ailleurs, leurs proches eurent à peine le temps de se faire à l’idée que Noah était bel et bien parmi eux qu’ils apprenaient que le couple envisageait de se marier. Certes, ce n’était pas pour demain mais dans un futur relativement proche. En somme, cela faisait beaucoup de changement alors imaginez pour les deux protagonistes. Ils s’étaient préparé, parfois chacun de leur côté, à devenir une vraie famille mais la réalité était vraiment différente. Leur fils venait bouleverser leur vie, dans le sens positif du terme of course (^^), et il était quelque peu difficile de s’approprier cette nouvelle vie instantanément. Encore aujourd’hui, Dorian craignait de mal s’y prendre avec Noah ou de mal gérer son couple. C’est à dire que son faux pas avec Kate était encore très présent dans son esprit. Il s’en voulait terriblement mais pis encore, il ne pouvait se résoudre à ne plus la côtoyer ni à avouer à Emma, que le soir où il avait passé la soirée en compagnie de cette femme, son attirance n’était pas seulement dû à l’alcool. En cela, il s’en voulait encore plus. Raison pour laquelle il paraissait parfois distant lorsque tous deux pouvaient enfin se retrouver comme un simple couple et rien d’autre.

Lorsqu’il revint vers la cuisine, un large sourire illumina son visage, de voir ainsi Noah dans les bras d’Emma. Cette image était probablement cliché mais qu’importe, ce jeune homme avait sous ses yeux ce que beaucoup rêvent encore d’avoir. A cet instant précis, Dorian n’aurait pu être plus comblé. Comme absorbé par un objet que l’on regarde indéfiniment, il resta ainsi quelques secondes, à se rendre compte de la chance qu’il avait.
De toute évidence, son interlocutrice était plongée dans le même état de bien-être que lui. Constat qui le fit sourire de plus belle. A ce moment-là, tous deux n’avaient qu’à croiser le regard de l’autre pour se comprendre.

Se rapprochant alors pour caresser le dos de son fils, Dorian en profita pour voler un baiser à Emma. Puis, il se dirigea vers un placard de la cuisine d’où il sortit deux tasses à café. Pour connaître l’état dans lequel on se trouve après une garde, il n’existait pas de meilleur ‘remède’, à sa connaissance, pour se rebooster.

« Je t’ai préparé un peu de café, avec ça tu ne devrais plus sentir les effets secondaires de l’hôpital ! »

Servant celui-ci dans les deux tasses, il en tendit une à sa chérie et commença à boire la sienne. Il se dirigea ensuite vers la première fenêtre et afficha une moue déçue. La météo était loin d’être clémente, son idée d’aller se promener en famille tombait donc à l’eau. S’appuyant le dos contre la fenêtre, Dorian se retourna et exprima la première idée qui lui vint en tête.

« On pourrait peut être profiter du fait qu’on soit tous les trois pour chercher une nounou .. si il y en a quelques unes qui peuvent passer cette après-midi on pourrait déjà commencer à s’organiser. Qu’est ce que tu en penses ? »

Parce que ce n’était pas la première fois, Dorian pouvait reconnaître ce type de situation à mille lieux. Enfin, c’était son propre comportement qu’il reconnaissait, celui dont il souhaitait tant se débarrasser. Pour la première fois depuis quelques jours, la famille avait l’opportunité de se retrouver et de rester sur leur petit nuage. Pourtant, Dorian ne semblait pas totalement enthousiaste à cette idée. Une de leurs priorités - à savoir la recherche d’une nounou pour leur fils - semblait primer sur tout le reste. Il est vrai que maintenant que Noah faisait partie intégrante de leur vie, ce jeune homme avait rapidement tendance à s’inquiéter .. parfois même pour des choses sans importance. Il se souviendrait encore longtemps du jour où, en plein travail, il ne cessait de se demander si tout allait bien à la maison, essayant de se contrôler pour ne pas appeler et attendre patiemment la fin de sa journée. Une réaction probablement normale pour un père de famille, en tous les cas c’était quelque chose de nouveau pour lui. Jusqu’à maintenant, le couple arrivait à s’organiser pour que l’un ou l’autre puisse garder le petit bout quand l’autre devait partir travailler. Une gestion plutôt itérative mais qui faisait ses preuves jusqu’à présent. Malgré ce, Dorian souhaitait quelque chose de plus sûr et, surtout, de plus simple. Ce sujet-là avait été plusieurs fois évoqué sans mener à quelque chose de concret. Dorian mettait régulièrement ce sujet sur le tapis, paraissant parfois très insistant. On ne pourrait lui reprocher cela puisque c’était dans l’intérêt de leur fils. Mais il y avait une autre raison à cela. Alors qu’il aurait pu proposer tout à fait autre chose pour occuper le reste de leur journée, Dorian préférait s’enfermer dans son idée. En ce sens, il se montrait plutôt distant. Depuis un moment, il n’arrivait pas à retrouver le petit quelque chose qui avait investi leur couple jusque-là. Après leur réconciliation intervenue peu avant l’accouchement, Dorian pensait sincèrement qu’Emma et lui-même pourraient repartir du bon pied, avec la même passion qu’avant mais cela ne semblait pas être le cas. Ce sentiment était assez étrange mais peut être normal. Après tout ils étaient désormais des parents avant tout et cela incluait beaucoup de changements, plus qu’ils ne l’auraient imaginé.

Installé contre la fenêtre, Dorian avait lancé son idée telle qu’elle lui était venue. Celle-ci ne semblait pas emballer son interlocutrice, ce qui était compréhensible. Même si il insistait là-dessus, cela ne signifiait pas qu’il avait une envie folle de voir débarquer successivement plusieurs personnes arguant chacune toutes leurs qualités pour garder leur fils. Accorder sa confiance à une telle personne était loin d’être évident et leurs critères de sélection seraient très exigeants.
Après coup, Dorian s’apercevait qu’il n’avait pensé qu’à lui. Emma devait être fatiguée par sa garde et lui-même devrait être le premier à savoir ça.

Affichant une certaine moue d’excuse, il se leva pour poser sa tasse sur le comptoir tandis qu’Emma lui répondait puis il se rapprocha d’elle et donc de Noah.

« On aura le temps de s’en occuper dans les jours qui viennent, profitons de cette journée pour la passer en famille. Vous avez envie de quoi ?! »

Un fin sourire au coin des lèvres, Dorian regardait son fils comme si d’un moment à l’autre celui-ci allait se mettre à lui répondre. En réalité, dès qu’il en avait l’occasion, Dorian essayait de le faire sourire ou rire mais jusque-là il n’y était pas parvenu.

Pour la énième fois depuis quelques semaines, le couple remettait à plus tard une de leurs priorités. Trouver une nounou sérieuse et qui leur convienne à tous les deux ne seraient pas une tâche aisée et prendrait probablement du temps mais encore faudrait-il qu’ils parviennent à en parler ensemble puis à se mettre d’accord sur leurs exigences.
Savoir que quelque chose s’était brisé entre eux sans rien pouvoir faire pour y remédier était complètement déstabilisant. Lorsque Dorian et Emma avaient l’opportunité de se retrouver rien que tous les deux, ils avaient plus tendance à tourner autour du pot pour se parler l’un l’autre plutôt que de se libérer de tout et de reprendre leurs habitudes.
Dans cette étrange situation, Noah semblait être la bonne excuse à leur attentisme. Que ce soit l’un ou l’autre, chacun parvenait à se défaire de ce malaise en s’occupant du petit. Bien entendu, ils n’avaient besoin d’aucune excuse pour s’en occuper et ils ne s’en privaient pas mais, parfois, cela faisait vraiment trop.
En définitive, chacun d’eux comprenait comment l’autre fonctionnait mais à aucun moment le couple n’osait engager la conversation. D’une certaine manière, cette situation semblait les satisfaire. Après tout, ils s’évitaient des disputes qui ne menaient généralement à rien. Ce n’était donc pas plus mal, surtout maintenant avec la présence de Noah.

Dorian venait de faire marche arrière quant à sa proposition, pourtant cela le préoccupait. Pour le lendemain, il ne savait pas comment ils allaient s’organiser. En tous les cas, il n’aurait probablement pas l’occasion de prendre du temps pour lui après le boulot. Cela lui manquait et il se cachait bien de le faire savoir. Au cours des derniers mois de grossesse d’Emma, Dorian avait parfois ‘modifié la vérité’ de façon à rentrer plus tard le soir et à passer plus de temps avec certains de ses amis sans qu’Emma ne le sache. Raison pour laquelle ses heures de garde avaient augmenté de manière exponentielle. En cela, son boulot au SGH était une très bonne excuse.

Maintenant que la recherche d’une nounou était reléguée en arrière-plan, il leur restait à trouver comment ils allaient pouvoir s’occuper. Une chose qui ne serait jamais arrivé du temps où le courant passait extrêmement bien entre eux. Ils avaient pris l’habitude de faire les choses de manière spontanée, sans se poser trop de questions et en sachant profiter de chaque moment.
Comme impuissant parce qu’il ne savait comment agir, il regarda silencieusement Emma qui s’installait au salon, avec Noah toujours dans ses bras qui semblait hésiter entre les bras de sa maman et ceux de Morphée.
Devant ce manque d’enthousiasme des deux côtés, Dorian laissa échapper un bref soupir de lassitude. Ils se comportaient comme deux ados qui apprennent à se découvrir et qui n’osent rien proposer de peur que l’idée ne déplaise à l’autre.
Tout en se rendant compte de cela, un sourire apparut au coin de ses lèvres. D’une certaine façon, cette situation commençait à l’épuiser mais à bien y réfléchir, il était bien plus fautif qu’il n’osait le croire. Après tout, il avait promis à Emma que tout serait comme avant à l’arrivée de leur enfant, que rien ne changerait entre eux. Ce n’était pas vraiment le cas et il redoutait de se voir reprocher le fait de ne pas tenir ses promesses. Comme si cela ne suffisait pas, il avait profité de son état pour s’accorder des tas de sorties jusqu’à l’événement qu’on connaît.

A son tour, Dorian se dirigea vers le salon et s’installa dans le fauteuil, face au canapé. Il affichait toujours sa petite moue et semblait perdu dans ses pensées. En réalité, il tentait de trouver rapidement quelque chose à faire mais cette atmosphère pesante ne l’aidait pas. Finalement, il opta pour la facilité au risque de passer pour un idiot, ce qui ne serait pas infondé.

« Non .. mais on est pas forcé de faire quelque chose de particulier. De toute façon, Noah est en train de se rendormir donc .. »

A mesure que le temps passait, le couple s’enfermait dans un certain mutisme. L’atmosphère devant un peu plus étrange, froide, imposant une sorte de barrière entre eux. A force de volonté et d’efforts, cette barrière serait facilement franchissable mais chacun d’eux se complaisait de son côté. En évitant une discussion - qui serait tout de même inévitable un jour ou l’autre - ils évitaient ainsi de petites disputes ou alors une grosse dispute qui auraient le mérite de tout mettre à plat. Mais, maintenant que Noah était là, ils ne pouvaient plus laisser aller leurs éclats de voix et c’était tant mieux. Toutefois, à faire durer cette situation, tous deux en souffrirait un jour ou l’autre. Bien entendu, ils en pâtissaient d’ores et déjà. Il suffisait de les voir, éloigné l’un de l’autre, leur fils au milieu, tenir une conversation qui était loin de leur ressembler.

Tous trois installés dans le salon, seul le bruit de la pluie venant taper contre les fenêtres venait briser le silence pesant qui s’installait doucement mais sûrement dans la maison. Las, Dorian venait d’exprimer son manque d’enthousiasme de la manière la plus maladroite qui soit, la plus blessante aussi. En restant aussi froid dans ses propos, adoptant une voix peu amène, il signifiait bien qu’aucun effort ne viendrait de lui.
Logiquement, Emma ne trouva rien à répondre. Que dire à quelqu’un qui se comportait de manière si idiote, égoïste aussi ?
Quelque peu irrité par le plat de la situation, Dorian se renfrogna un peu plus et, pour illustrer ses propos, il ne trouva rien de mieux à faire que piocher un magazine dans la pile qui se trouvait sur la table basse. Ainsi, il n’avait plus à craindre de croiser le regard de son interlocutrice ni de risquer une autre remarque qui ne ferait que rajouter de l’eau dans le gaz.
Un instant après, Emma se leva sans un mot pour accompagner Noah à sa chambre. Dès qu’elle eut le dos tourné, Dorian laissa retomber le magazine là où il l’avait pris, soupira longuement et porta son regard vers l’extérieur.

Depuis leur rencontre, le couple avait construit beaucoup de choses et celles-ci ne pouvaient pas être entachées simplement parce que Dorian et Emma étaient trop orgueilleux pour ouvrir la discussion. Avant que la situation n’empire et ne devienne plus compliquée qu’elle ne l’était déjà, chacun devait faire un pas en avant. Le premier d’une longue série car tout ne se réglerait pas en un clin d’oeil. Ils devaient d’abord, se parler, retrouver leur complicité jusque là oubliée et prendre de nouveaux repères.
Seul dans la pièce, Dorian se remémorait le moment où il avait promis à Emma que rien ne changerait entre eux et, ce, à aucun moment. Il avait mis beaucoup de conviction dans sa voix et autant de sincérité dans ses propos. Mais, rétrospectivement, ces propos semblaient appartenir à quelqu’un d’autre. Il n’avait finalement pas tenu sa promesse et la déception d’Emma devait être grande, même si elle n’était pas forcément palpable. Quoique. Dorian se rendait compte de beaucoup de choses, car il était en majeure partie responsable de cette situation, mais il préférait fermer les yeux.

Constater qu’Emma ne revenait pas ne le surprit pas le moins du monde. Elle devait probablement redouter de se retrouver face à lui, un homme froid et distant peu enclin à faire le moindre effort. Pourtant, en toute logique, c’était à lui de faire le premier pas. Il devrait également gérer sa relation avec Kate de son côté, l’oublier dès qu’il franchirait la porte d’entrée de leur maison.

Plus ou moins prêt à se montrer soucieux d’arranger les choses, Dorian se leva, prenant alors son courage à deux mains. Aussi bizarre que cela puisse paraître, rejoindre Emma n’était pas des plus évident. Il se buterait peut être à un refus ou même à s’entendre dire ses quatre vérités. Naturellement, il se dirigea d’un pas peu assuré vers la chambre de son fils où il resta un petit instant silencieux sur le seuil. Seule devant la fenêtre, Emma semblait avoir besoin de réconfort et Dorian était prêt à agir progressivement dans ce sens. Sans un bruit pour ne pas réveiller Noah, il se rapprocha d’elle doucement jusqu’à se retrouver derrière et passer ses bras autour d’elle, murmurant alors une proposition, une vraie cette fois.

« Qu’est-ce que tu dirais si on s’enveloppait dans un plaid, devant un bon film avec deux chocolats chaud ? »

Leur complicité avait disparu à une telle vitesse que, dès à présent, le couple ne pouvait plus que mesurer l’étendue des dégâts. Alors qu’ils voyaient enfin leur rêve de famille se réaliser, ils s’apercevaient que le reste retombait en poussière. Pendant de longs mois, tous deux avaient enduré la passivité de leur couple, prenant chaque remarque comme un reproche, laissant alors leurs fiertés respectives prendre le pas sur tout le reste.
Ce soudain malaise entre eux les avait séparé d’une manière qu’ils n’auraient pu imaginer, cassant la pierre angulaire de ce sur quoi se fondait leur couple, à savoir leur complicité.
Sans être totalement dupe, chacun de leur côté devait se douter qu’un jour ou l’autre les choses évolueraient, la passion qui les animait avec. Leur relation avait débuté sur des chapeaux de roue, à tel point que le couple avait déjà vécu des tas de choses. Certaines meilleures que d’autres.

Tous deux avaient eu l’opportunité de ne plus se préoccuper de leur situation les jours où ils avaient accueilli leur famille. A ce moment-là, ils n’avaient rien laissé transparaître et cela n’avait d’ailleurs pas été difficile. Encore une fois, Noah était leur meilleur échappatoire. Durant ce laps de temps, relégué en arrière plan, la situation préoccupante de leur couple ne les avait pas fait souffrir. Mais durant les jours suivants, lorsqu’ils se retrouvèrent enfin seuls, des centaines de minutes passèrent en silence, sans que ni l’un ni l’autre n’échange un seul mot. Chacun avait compris qu’aucun d’eux ne ferait d’effort ou ne tenterait d’améliorer un tant soit peu la situation en rétablissant le dialogue. Ni Dorian ni visiblement Emma n’avaient envie de partager une conversation qui aboutirait, à coup sûr, sur une nouvelle discorde. Alors, comme à l’accoutumée, le peu de paroles qu’ils échangeaient tournait autour de leur fils et de la façon dont ils allaient s’organiser.

Gagné par un instant de lucidité, Dorian se décida enfin à faire un premier effort. Car si chacun restait sur ses positions, leur couple ne tarderait pas à perdre sa raison d’être. Puis ils devaient bien ça à leur fils qui n’y était pour rien dans l’histoire mais qui demeurait être leur seul échappatoire. Sans lui, Dorian et Emma n’auraient probablement pas cherché à s’éviter, usant pour cela du moindre stratagème, mais au contraire ils auraient précipité la chute de leur relation.
Malgré toute sa fierté accumulée, Dorian ne pouvait se résoudre à laisser la situation telle quelle. L’un d’eux devait se décider à intervenir pour changer le cours des choses avant que cela ne soit irrattrapable. Son faux pas avec Kate témoignait bien du malaise qui s’était installé et démontrait également que c’était à lui de faire le premier pas.
Quelques jours avant l’accouchement d’Emma, tous deux s’étaient réconcilié, Dorian allant même jusqu’à la demander en mariage mais, aujourd’hui, cet événement-là semblait appartenir à d’autres personnes. Désormais, Dorian était plongé dans un océan d’incertitudes et de doutes.

Lorsqu’il rejoignit Emma dans la chambre de leur fils, Dorian eut la surprise de découvrir une nouvelle sensation. Il l’entourait de ses bras mais semblait pourtant dépourvu de la moindre force capable d’arranger les choses. Après ce premier effort, leur malaise paraissait être plus visible ce qui était assez déroutant. Ce geste affectueux ne représentait plus assez pour faire disparaître tout le reste. Cette étreinte, encore timide, symbolisait la fracture de leur couple. Pour chercher un brin d’apaisement, Dorian ferma les yeux un instant mais il replongea aussitôt dans l’antre de ses doutes.
Ensemble ils se dirigèrent vers le salon en espérant secrètement que la situation évoluerait dans le bon sens. Un doux sourire éclaira son visage lorsqu’Emma lui répondit. Ils avaient l’ultime possibilité d’avancer, de faire face à ce nouvel obstacle ensemble.

« Parfait .. je vais préparer les chocolats, je te laisse choisir le film. »

En règle générale, le couple n’avait pas besoin de s’échanger de tels propos pour s’organiser un moment agréable mais, cette fois, tout était bel et bien différent. Dorian s’éclipsa alors quelques minutes dans la cuisine, ouvrant et fermant les portes le plus doucement possible pour rassembler ce dont il avait besoin et éviter de réveiller Noah, réputé pour avoir un sommeil léger.
Un court moment après, il retourna dans le salon avec une tasse de chocolat chaud dans chaque main. Tous deux purent enfin s’installer dans le canapé et lancer le film. Dorian se sentait tel un adolescent qui convoite une fille depuis longtemps et qui, si près du but, n’ose plus dire quoi que ce soit ni tenter le moindre geste. Pour ne pas se retrouver dans une sorte de confusion, il leur fallait trouver les mots pour alimenter la discussion bien que le film était une bonne excuse pour éviter cela et faire comme si il les intéressait. Finalement, lorsqu’il eut terminé sa tasse, Dorian la posa sur la table basse puis en se réinstallant, il entoura Emma de ses bras mais demeura silencieux.

Chacun à sa façon, ils luttaient contre leur détermination et se laissaient facilement emporter par leur fierté. Aussi bien l’un que l’autre était têtu, entêté et, dans cette situation, cela ne pouvait que leur porter préjudice. Celle-ci perdurait tant qu’elle semblait avoir aspiré toute possibilité de réconciliation.
Dorian ne parvenait pas à se souvenir de la dernière fois où ils avaient passé un tendre moment ensemble, où ils avaient ri et parlé de tout et de rien comme ils en avaient l’habitude. Depuis la naissance de leur fils, ils n’avaient même pas pris la peine de rester tous les trois dans la même pièce pendant quelques minutes. L’un ou l’autre trouvait toujours prétexte pour s’éclipser. A chacun de ces moments, ils sombraient un peu plus dans l’incertitude. Dorian, toujours pris au piège entre ses appréhensions et ses doutes ne savait plus trop quoi penser ni quoi faire. Seule son orgueil était acquis. Malgré l’erreur qu’il avait commise en allant trop loin avec Kate et malgré la promesse qu’il s’était faite à ce sujet, ce jeune homme persistait dans le même schéma. Lorsqu’ils se retrouvaient en tant qu’amis et non plus en tant que collègues, Dorian n’avait aucun mal à s’ouvrir pour se retrouver apaisé. Peut être que Kate était, en effet, trop compréhensive et trop séduisante pour n’être qu’une simple amie ? Jamais Dorian ne se serait senti capable d'une telle trahison, surtout après tous les bons moments qu'il avait vécu avec Emma à ses côtés et toutes les épreuves qu'ils avaient dû traverser. Alors pourquoi en mettre une autre sur leur chemin? C'était si facile de détruire une personne mais si difficile de reconstruire une confiance qu'on a perdu et piétiné.

Le film et la pluie au dehors suffisaient à alimenter le nouveau silence qui s’était installé entre les deux protagonistes. A nouveau, ils venaient se s’enfermer dans une spirale infernale alors que le plus dur venait d’être fait. Certes, ils avaient échangé le strict minimum mais cela fût suffisant pour qu’ils puissent se mettrent d’accord sur quelque chose à faire.
Par la suite, Dorian se montra un peu plus affectueux mais sans en faire trop. Leur dernière étreinte remontait à tellement longtemps que celle-ci le mettait presque mal à l’aise. Ne trouvant pas les mots pour reprendre un semblant de discussion, Dorian fit mine de s’intéresser au film alors qu’Emma occupait la moindre de ses pensées.
De son côté, elle réussit à renouer le dialogue mais d’une manière qui eut le mérite de surprendre son destinataire. Pourquoi diable s’excusait-elle ? Dorian ne trouvait absolument rien à lui reprocher et ne comprenait donc pas ces quelques mots. Il tenait à lui répondre pour soutenir le contraire mais, comme empêché par une force extérieure, son élan se stoppa net. Presque mal à l’aise, son regard suivit et décomposa chacun des gestes d’Emma. Visiblement, c’était eux qui le mettait dans cet état. Alors qu’elle continuait et s’approchait de son cou, Dorian eut un léger mouvement de recul, prenant ses mains dans les siennes comme pour l’empêcher de continuer dans son entreprise. Aussitôt, il articula quelques mots mais ces derniers ne seraient probablement pas salvateurs.

« Attends .. on devrait peut être parler .. pourquoi tu es désolée ? »

Son visage trahissait son manque d’assurance. En refusant ces gestes pourtant affectueux, Dorian risquait de blesser son interlocutrice comme jamais. D’habitude, ces gestes avaient le mérite de les réunir et de remplacer les mots. Pour la première fois, il refusait cette affection alors qu’elle lui manquait et qu’il en avait terriblement envie.
A l’extérieur, la pluie redoublait d’intensité et quelques lointains coups de tonnerre se faisaient entendre. Pour l’instant, il n’y avait rien qui puisse troubler le sommeil de Noah.

Doté de son tact légendaire, Dorian venait de mettre à plat les derniers espoirs d’une réconciliation. A croire qu’il le faisait exprès. Dès l’instant où, trop mal à l’aise pour retrouver leur bulle d’intimité, il repoussa Emma et ses efforts avec, la situation prit une tournure qu’ils ne connaissaient que trop bien. Une fois de plus, celle-ci prenait le chemin de la discorde.
Visiblement, Dorian ne semblait pas encore prêt à se montrer aussi affectueux. Pourtant ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Aussi bizarre que cela puisse paraître, le peu de temps où Emma s’était montré tendre envers lui, il n’avait ressenti qu’un étrange sentiment de malaise doublé d’une certaine appréhension. En réalité, il se rendait compte que leur complicité avait réellement et complètement disparu et que ces gestes, si naturels autrefois, étaient difficiles à s’accaparer de nouveau. Dorian était également conscient que sa réaction risquait de rendre les choses encore plus difficiles qu’elles ne l’étaient déjà. Ce nouvel obstacle, de loin le plus éprouvant, remettait tout en question dans leur couple et était à l’origine de cette cassure. Celle-ci n’était pas inhérente à la naissance de leur fils et à ce que cela impliquait. Les maux remontaient à plus loin. Toutefois, même indirectement, Noah était pris à parti parce que ses besoins constituaient de très bon prétextes pour éviter l’évidence d’une discussion qui s’imposait. Cela, Dorian l’acceptait de moins en moins. Leur fils était âgé de quelques semaines à peine et il n’avait pas à vivre dans une telle atmosphère. Au moins pour lui, le couple devait faire des efforts.

Lesdits efforts que Dorian venait de réduite à néant. En toute logique et comme il s’y attendait, Emma eut vite fait de marquer le pas et de briser l’esquisse de leur étreinte. Tout s’accélérait dans son esprit et il avait beau chercher les mots pour apaiser la situation, rien ne vint. La tension allait donc redoubler d’un cran. En observant la réaction de son interlocutrice, il ne put que s’en vouloir davantage. Les propos qu’elle lui adressa en retour le laissèrent sans voix, totalement dépourvu. Surtout, la fin de sa phrase le troublait. Noah ne le forçait à rien, il ne pouvait pas être plus comblé que l’avoir à ses côtés. Savoir qu’Emma pensait cela venait donc toucher un point sensible.
Au lieu de répliquer comme il l’aurait fait habituellement, Dorian resta impassible, s’enfermant ainsi dans un silence de marbre. Beaucoup d’arguments lui vinrent en tête mais, parce que leur fils était dans la pièce à côté, il se refusait à une nouvelle dispute. Impuissant, il regarda tristement Emma prendre le chemin de leur chambre mais, contre toute attente, elle lui asséna une nouvelle remarque qui eut le mérite de lui remettre les idées en place.

Complètement désemparé, Dorian ferma les yeux pour s’oublier un instant et se laissa tomber contre le dossier du canapé. Il faisait cela parce que rejoindre leur chambre ne servirait à rien à cet instant précis. Bien entendu, son attentisme renforcerait le trouble de la situation mais il préférait cent fois cela plutôt que de la rejoindre pour la blesser avec des paroles dont il ne penserait pas un traitre mot. Il luttait pourtant intérieurement contre l’envie de la prendre à nouveau dans ses bras, de s’excuser pour tout et de lui promettre que tout rentrerait dans l’ordre. Il y a encore quelques temps, Dorian n’aurait pas hésité à la rejoindre illici presto après une dispute. Là, tout était différent.
Chacun d’eux dans deux pièces différentes de la maison, le malaise de leur couple n’aurait pu être mieux illustré qu’à cet instant précis.

Après ce qui sembla être une éternité pour Dorian, il rouvrit enfin les yeux et soupira longuement tout en se prenant la tête entre les mains. Emma occupait chacune de ses pensées et il n’aspirait qu’à une chose : que tout rentre dans l’ordre. Malheureusement, ce n’était pas aussi simple qu’il aimerait.
Le salon était progressivement plongé dans le noir, à mesure que le temps se dégradait à l’extérieur. Un détail qui rendait l’environnement encore plus triste. Les minutes passaient et Dorian fixait toujours le même point, perdu dans ses pensées. Un moment après, il prit la résolution de rejoindre Emma et de dire ce qu’il avait sur le coeur. La situation devait absolument avancer avant que le couple n’atteigne le point de non retour. D’une démarche hésitante, Dorian traversa le salon puis le long couloir, orné de tas de photographies, qui menait à leur chambre. La porte était grande ouverte mais, pendant un instant, il resta sur le seuil. Avant de le franchir, il tourna la tête en direction de la chambre de Noah pour se donner du courage. Il s’avança ensuite de quelques pas, jouant avec ses mains pour vaincre son manque d’assurance.

« Tu n’as pas à t’excuser pour quoi que ce soit mais je t’interdis de dire que Noah me force à quoi que ce soit. Dans l’histoire, on sait tous les deux que c’est de ma faute parce que je suis allé trop loin avec Kate .. j’admets que je su.. que j’ai été attiré par elle mais il n’y a que toi que j’aime et il n’y a qu’avec toi que je veux être. Toi et Noah. Je t’avais promis que rien ne changerait entre nous et je n’ai pas tenu ma promesse, je suis désolé. Maintenant qu’on est une famille, j’aimerais qu’on arrive à retrouver ce qu’on a perdu et à tout faire pour que Noah soit heureux. »

Assurément, ses propos ne rattraperaient pas tout mais c’était un nouvel effort qui, additionné à d’autres, pourrait permettre de retrouver à terme leur complicité, leur couple tout simplement.

Après un long moment de tergiversations, Dorian était enfin parvenu à trouver le courage nécessaire pour affronter, une fois de plus, ce qui le séparait d’Emma. Plus les jours passaient et plus son esprit était gagné par un flou total, à tel point qu’il ne savait plus distinguer le vrai problème de ceux qui étaient arrivés plus tard. Il était également incapable de savoir ce qui clochait chez lui car il était manifeste qu’il avait changé. Les premières fois, Dorian avait tenté de se convaincre que leur nouvelle vie de famille influait pour beaucoup sur ce sentiment mais ce n’était pas vraiment le cas. Il était complètement perdu et se doutait bien que seule une vraie discussion entre lui et Emma permettrait de faire avancer les choses. Mais visiblement, le couple ne se comprenait plus. Jusqu’à maintenant, leurs maigres efforts étaient vains et leur relation stagnait, ce qui n’était pas pour arranger la situation.

Une fois qu’il eut rejoint leur chambre, Dorian se retrouva confronté à ce qu’il redoutait le plus. Allongée sur leur lit, Emma affichait la même expression de colère mêlée de tristesse. Il ne pouvait plus faire marche arrière et, après avoir pris une grande inspiration, Dorian exprima ce qu’il avait sur le coeur en essayant d’être sincère. Ses mots se heurtèrent à une barrière que son interlocutrice ne semblait pas prête à baisser. Malgré ce, il pouvait comprendre mais cela ne signifiait pas qu’il en resterait là. Quitte à se lancer dans un long monologue, il souhaitait de tout coeur faire avancer les choses ou, au moins, parvenir à attirer son attention pour rétablir le dialogue. Ce fut donc avec une grande surprise qu’il assista, impuissant, à la réaction d’Emma si ça en était bien une. Sans lui accorder le moindre regard et sans dénier lui répondre, elle rejoignit la salle de bains. Pièce dont elle ferma la porte signe que la discussion était définitivement close.
Désorienté, Dorian resta longuement dans leur chambre à essayer de comprendre ce qui venait de se passer et ce que cela signifiait. Peu à peu, ses dernières forces le quittèrent et, tout naturellement, ses efforts cessèrent au même moment.
Seul au milieu de cette chambre qui semblait avoir perdu tout son charme, Dorian se tourna une dernière fois vers la porte fermée de la salle de bains, espèrant secrètement qu’elle s’ouvre et que, par un simple coup de magie, tout rentre dans l’ordre. Sans réellement s’en rendre compte, il se rapprocha et posa la paume de sa main contre celle-ci. Il pouvait encore tenter sa chance mais devant le bruit de l’eau qui s’écoulait inlassablement, Dorian finit par abandonner.

Ce dernier finit par rejoindre le hall d’entrée où quelques pas seulement le séparait de l’extérieur. Face à cette grande porte en chêne, il se retrouvait une fois de plus devant la solution de facilité pour laquelle il optait toujours. Cette fois pourtant, il parut plus rationnel et renonça à quitter la maison. Cela ne ferait que dégrader la situation et il ne pouvait plus penser qu’à lui, Noah avait besoin de lui.
Dorian se dirigea finalement vers le salon où il s’installa sur le canapé pour reprendre la lecture de son magazine mais quelques minutes après il s’arrêta, son esprit étant ailleurs. Il lança à nouveau le film mais le même scénario se produisit et ainsi de suite avec tous les autres objets qui lui tombaient sous la main. Lassé, il resta inactif de longues minutes jusqu’à ce qu’une nouvelle idée lui vienne en tête. Quittant alors le salon pour la chambre d’amis qui n’était pas encore totalement achevée, Dorian y retrouva sa guitare. Il prit place sur le bord du lit mais après avoir joué quelques notes, il abandonna pour ne pas perturber le sommeil du petit Noah.
Depuis un moment maintenant, il n’entendait plus la pluie tomber mais cela ne lui vint à l’esprit qu’à la seconde où il s’allongea sur le lit et ferma les yeux. Ce n’est qu’à partir de cet instant qu’il put réellement se reposer. Le reste du temps, il préférait vaquer à d’autres occupations dans le reste de la maison ou en dehors. Ce qui était plutôt compréhensible lorsque l’on reconsidérait les choses. Le fait de ne plus rien partager avec Emma lui manquait terriblement. Plus simplement, c’était signe d’échec. Alors que son esprit était de nouveau embrumé par des tas de questions, le jeune homme préféra sortir de la pièce y laissant également toutes ces pensées obscures. Cette fois, il prit la direction de la cuisine et termina là son tour de la maison. Il consulta sa montre et décida de préparer le repas pour deux même si il n’avait aucune certitude en ce qui concernait Emma. Il mourrait d’envie de savoir ce qu’elle faisait puisqu’il ne l’entendait pas mais leur chambre était une pièce dans laquelle il n’était plus vraiment le bienvenu. Encore trop préocuppé, il ne fit pas vraiment attention et se brûla bêtement. N’ayant pas le choix, il gagna leur chambre, où il trouva Emma en train de bouquiner, puis la salle de bains d’où il ferma la porte avec le plat du pied. Noah commençait à se réveiller et réclamait leur attention mais Dorian était trop occupé à trouver le bon gel indiqué pour les brûlures superficielles pour aller chercher son fils.

Depuis que ce conflit avait débuté, les deux protagonistes disposaient d’un réel don pour toujours parvenir à trouver des arguments différents puis à rester fidèles à leurs convictions. C’était bien ce dernier point qui dérangeait. En agissant de cette manière, ils ne laissaient absolument aucune chance à la situation d’évoluer. Ainsi, le couple semblait s’en satisfaire puisque aucun ne produisait le moindre effort. Toutefois, aucun d’eux ne pouvait nier que cette situation durait depuis trop longtemps maintenant. Ils ne pouvaient plus se comporter comme ils le faisaient simplement parce que Noah faisait désormais partie intégrante de leur vie, ils étaient des parents avant tout et se devaient d’assumer chacune de leur responsabilité. Pour cela, ils devraient abandonner leurs attitudes égoïstes et mettre les point sur les i en ce qui concernait l’origine de leur conflit. Qu’importe l’issu de celui-ci, tous deux en tireraient de bonnes leçons.

Aujourd’hui, chacun s’était décidé à consentir quelques efforts mais ces derniers avaient été soufflé par l’étrange réaction de Dorian. Réaction pour laquelle il pouvait s’en vouloir. Le refus d’Emma de renouer le dialogue marquait définitivement la fin des négociations pour la journée. Résolu à faire avec puisqu’il n’avait d’autres choix, Dorian chercha pendant un long moment à s’occuper mais, il avait beau tout essayer, rien ne le distraillait assez pour lui faire oublier toute cette histoire.
C’est en cuisine où il se sentit plus ou moins bien puisqu’il eut tout loisir de décharger sa frustration sur les légumes qu’il découpait en petits morceaux. Malheureusement pour lui, il ne pu échapper à la dure loi de la cuisine, à savoir la concentration. Celle-ci était totalement absente et c’est ainsi qu’il n’échappa pas à une belle brûlure sur le dos de la main. Définitivement énervé, il ne put s’empêcher d’envoyer valser la spatule qu’il tenait à la main et de tout laisser en plan pour rejoindre la salle de bains. Là, il ne fut pas au bout de ses peines. Il avait beau retourner toutes leurs affaires, impossible de trouver le bon produit. Lorsque les pleurs de Noah commencèrent à troubler le silence de la maison, Dorian arrêta sa recherche, attendant de savoir si Emma allait s’en occuper ou non. Dès qu’il l’entendit se lever, il reprit ses recherches se permettant désormais de claquer les tiroirs dans lesquels il trouvait tout sauf ce qu’il cherchait.
Quelques instants plus tard, il eut la surprise de voir Emma le rejoindre et de s’occuper de sa blessure. De ses yeux médusés, il la regarda ouvrir le bon tiroir du premier coup. En toute logique, il pensait que ça s’arrêterait-là et qu’elle le laisserait se débrouiller seul mais elle alla jusqu’à lui appliquer le gel. Puis, toujours en allant crescendo dans la confusion, Emma lui déposa un léger baiser sur la joue et accompagna celui-ci d’une remarque des plus surprenantes. Une nouvelle fois décontenancé, Dorian ne rétorqua absolument rien et fixa longuement son reflet dans le miroir comme si il lui demandait ‘ t’as bien vu la même chose que moi ?! ’. Connaissant Emma et ses accès de spontanéité, mieux valait ne pas chercher à comprendre.

De nouveau calme et posé, Dorian rejoignit le reste de la famille et resta un petit instant aux côtés de Noah. Dès qu’il le voyait, il ressentait le besoin de le prendre dans ses bras, de le câliner ou de le regarder tout simplement. Ces besoins-là étaient toujours amplifiés lorsqu’il rentrait du travail. Malgré le fait que Noah s’était déjà fait la réputation d’avoir un sommeil léger, Dorian ne résistait jamais à l’envie d’aller le voir dans sa chambre en pleine nuit, lorsqu’il rentrait d’une garde.
Le sourire aux lèvres, il le regardait et ne pouvait que se sentir comblé. Cette fois, il ne résista pas longtemps à l’envie de le prendre dans ses bras. Ensuite il se dirigea vers Emma qui préparait son biberon et, de sa main libre, il frôla plus qu’il ne caressa son bras.

« Tu me surprendra toujours. »

Comme son interlocutrice un peu plus tôt, il s’exprima sur un ton des plus posé. Sa remarque ne résultait pas d’un effort mais de quelque chose de beaucoup plus naturel. Il lui parlait avec aucun à priori sur leur conflit. Celui-ci était, pour l’instant, relèguer en arrière-plan. Toujours avec Noah dans ses bras, Dorian reprit son plat là où il l’avait laissé. En réalité, il se contenta de mettre le gaz et la minuterie puis il resta près d’Emma, l’observant silencieusement.

Pour parvenir à un semblant d’entente, chacun des deux protagonistes avait dû user de stratagèmes. Rétrospectivement, le couple pouvait retenir au moins une chose positive de leurs longues heures passées loin l’un de l’autre, dans un silence des plus complet. Toutes ces questions qu’ils se posaient et tous ses doutes qui les envahissaient avaient le mérite de leur permettre un travail sur eux-mêmes, d’où venaient ensuite leurs premiers efforts. En définitive, chacun avait la volonté d’arranger les choses. Dorian l’avait démontré plus tôt dans l’après-midi mais, aussitôt, il avait également fait ressortir son manque de tact doublé de sa maladresse. Ces deux défauts devaient probablement être les plus frappants de sa personnalité. Sans que ce soit dépendant de sa volonté, Dorian avait cette faculté à faire quelque chose de bien et à tout gâcher l’instant d’après. Il s’en voulait toujours terriblement mais il n’y avait rien à y faire, il reproduisait toujours le même schéma.

Tous trois réunis dans la même pièce, le couple pouvait mettre cette sérieuse avancée à leur actif. En oubliant pour quelques temps leur conflit, ils pouvaient espérer passer un moment agréable avec leur fils et ne pas finir totalement déçu de cette journée. Toutefois, Dorian ne pouvait pas entièrement oublier le fait qu’il avait réduit leurs efforts à néant. Il était satisfait de savoir qu’à cet instant prècis, les choses allaient d’elles-mêmes parce que les deux parents plaçaient le bien-être de Noah avant tout. Mais compte tenu du caractère instable de leurs attitudes respectives, aucun ne pouvait être certain que la soirée continuerait ainsin indéfiniment. Ce n’était que le début et elle promettait d’être longue .. longue avant que Noah ne se réendorme puisque sa sieste avait duré de plusieurs heures, longue parce que les deux protagonistes ne pourraient oublier le reste, ce qui les rattraperait tôt ou tard.

Petit à petit, le dialogue venait casser la monotonie de leur train de vie. Encore une fois, c’était différent mais assez satisfaisant. Chacun avait décidé de ranger sa fierté et de faire en sorte de passer une bonne soirée avec leur fils. Rien n’avait été dit et ne serait dit explicitement, pour cela au moins, chacun parvenait à comprendre les intentions de l’autre. Il restait donc quelques vestiges de leur relation si fusionnelle.

D’abord dans les bras de son père, Noah finit dans les bras de sa maman lorsque celle-ci lui donna son biberon. Appuyé contre le plan de travail, surveillant d’un oeil le plat qu’il préparait, Dorian les regardait avec un fin sourire au coin des lèvres. A n’en pas douter, Noah avait hérité des yeux de sa mère, couleur chocolat, profonds et quasi-envoûtant. Cette image lui appartenait parce qu’à eux trois ils formaient une famille et qu’il n’y avait rien de plus important ni de plus salvateur. Ce sentiment de bien-être que véhiculait ce qu’il voyait provoqua un petit déclic dans son esprit. Si il voulait garder cette image intacte et s’en approprier d’autres avec la même atmosphère, Dorian devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour arranger les choses et changer définitivement ses habitudes égoïstes. Fini les moments de silence, les réactions à chaud, les propos blessants et les gestes vexant. En somme, Dorian devait grandir et se rendre compte que vivre à trois ne faisait pas tout. Il lui faudrait faire en sorte que ça marche.

Le père de famille sortit de ses pensées à l’instant où Emma se leva avec leur fils dans les bras. Le bruit de la chaise l’avait distrait et désormais, son visage affichait une certain décontraction. Il semblait avoir enfin trouvé ce qui clochait chez lui depuis un bout de temps.
Avant de vraiment quitter la pièce, son interlocutrice lui répondit en fin. Avec cette remarque, il retrouvait tout ce qu’il aimait chez Emma. Cette propension à le surprendre encore et toujours, cette part de mystère qu’elle préservait à chaque remarque de ce style et dont elle avait le secret.
Amusé, Dorian afficha un franc sourire et rejoignit également le salon où il prit place sur le canapé.

« Vraiment ? Ce serait trop que de demander un aperçu ? »

Ses propos n’étaient pas encore tout à fait naturels et pour cause, il préférait prendre le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire pour éviter une nouvelle maladresse. Dorian prit ensuite la main de son fils dans la sienne pour le distraire et également parce que ses petits doigts minuscules le faisaient craquer.

En prenant un minimum de recul sur les derniers événements de la journée, la situation paraissait plutôt ironique. Depuis plusieurs jours, ils ne communiquaient plus que par confrontations ou supplications, tentant de cacher leur désarroi devant leur fils ou bien devant leurs amis qui, malgré tout, commençaient à lire à travers leurs jeux de comédiens médiocres. Il n’y avait donc nullement besoin de se placer chacun à un bout différent de leur maison pour les séparer, car ils l’avaient prouvé durant ces derniers temps, le beau petit couple qu’ils formaient auparavant s’était tout simplement évaporé. Ce trouble qui les animait rendait la situation plus complexe et à la fois plus déchirante.

Leur spontanéité arrivait au moment le plus opportun. Réuni en famille, chacun faisait les efforts nécessaires afin de passer une bonne soirée. D’ailleurs, Dorian n’en espérait pas tant. Pas là, pas maintenant. Il lui avait suffit d’une remarque jusque-là anodine pour que son interlocutrice vienne lui déposer un doux baiser sur la joue. Le deuxième en moins d’une heure, inespéré. Cette fois, Dorian ne prévoyait pas de refuser tout forme d’affection, bien au contraire. Quasi-instantanément, les secondes passèrent bien plus lentement qu’à la normale. Elle se rapprochait de ses lèvres et le sentiment qu’il éprouvait ressemblait exactement à celui qui se rapportait à leur tout premier baiser, un an en arrière. Emma fut stoppé dans son élan par un son que tous deux n’avaient encore jamais entendu et qui n’aurait pu leur faire plus plaisir. Le premier son de Noah, excepté ses pleurs (^^). Ce moment était d’autant plus .. savoureux que son rire intervenait au moment où ses parents se rapprochaient enfin. Loin des clichés, ce court moment paraissait plutôt symbolique. Agréablement surpris, Dorian eut une réaction similaire à celle d’Emma. Depuis le temps qu’il essayait de lui faire décrocher un sourire ou de le faire rire, il suffisait simplement que ses parents se rapprochent. Chose qu’ils auraient pu faire depuis très longtemps sans leur guerre ouverte. Ce rire le troubla à tel point, qu'il en perdit toutes les notions. Son regard vint s'ancrer à celui d’Emma et ils n’eurent pas besoin d’échanger le moindre propos pour se comprendre. C'est alors que le barrage qu'il avait dressé entre-eux, la contenance qu'il tentait de préserver, telle une carapace, une armure, s'évapora. A cet instant, tout semblait extrêmement simple. Il n’y avait rien de plus beau qu’entendre ce petit rire. Encore tout innocent, leur fils avait tout compris. Il avait besoin de sentir l’amour mutuel que se portaient ses parents. Sa façon à lui de dire qu’il ne servait pas d’excuse pour que tous deux évitent la discussion.

A présent, son sourire ne quittait plus ses lèvres. Dorian n’était pas prêt de se lasser de ce doux rire et il avait réellement envie de l’entendre à nouveau. Alors, pour la première fois, Noah lui permettrait de trouver une bonne excuse, non pour éviter un quelconque événement mais plutôt pour en induire un. Il voulait ré-entendre le rire de son fils comme il voulait sentir le contact des lèvres d’Emma contre les siennes. Toutefois, il n’était pas assez confiant pour en prendre l’entière initiative.

« C’est sa façon de nous dire qu’il veut nous voir nous embrasser. Qu’est-ce que t’en dis ?! »

Sans perdre son sourire mais paraissant moins sûr de lui tout à coup, Dorian repoussa une mèche de cheveux sur le visage d’Emma et se rapprocha doucement, sans quitter son regard des yeux.
En tous les cas, Dorian pouvait être particulièrement fier de son fils qui avait déjà tout compris !